Tous les matins, je fais le même trajet pour aller bosser, soit 40 bornes d’autoroute à travers campagne et zone urbaines. La plupart du temps, cela me laisse assez indifférent. le temps s’écoulent normalement entre la permanence des choses et les événements incongrus (oh un rapace dans le ciel, oh un con qui roule vite, oh un hérisson écrasé). J’irai même parfois à me sentir de bonne humeur.
Mais des fois tout se lie pour que ce même trajet vous paraisse différent, hallucinatoire voire mystique. Il faut un contexte précis :
– Une nuit pas top : ça aide pas mal en effet avec du mal à s’endormir, des idées qui tracassent et un café qui n’y change rien.
– Un temps pourri. Pas la grosse pluie ou l’orage. Juste un ciel gris et bas, froid et une petite pluie de merde assez prolongée pour parsemer des flaques boueuses.
– un fond musical adéquat un peu comme celui-là :
– quelques bouchons qui laissent tout loisir à votre cerveau de vagabonder
Et tout est fin prêt pour que tout se mette en place et que votre cerveau turbine, mais un turbinage en mode diesel.
C’est tout d’abord l’attention flottante du conducteur qui commence, cet état de semi conscience de la route qui vous permet de conduire tout en rêvassant ou de fouiller dans votre boîte avant. Vous paramétrez, un certain nombre de points de contrôles (distance du véhicule devant, propre vitesse, connaissance du trajet) avec un certain nombre d’alerteurs (apparition des feux de freinage devant, bruit du moteur). Une fois ce pseudo-pilotage automatique mis en place, ça permet en général de libérer du temps de cerveau disponible.
Et ce matin là, j’ai du pas mal en avoir à cause des bouchons et de l’arrêt prolongé de ma caisse. Assez de temps pour carrément partir en crise existentielle. Assez pour me dire que tout ce qui m’entourait était une farce, une négation du beau et un échec de civilisation (rien que ça).
Si on regarde bien le monde qui nous entoure, on peut être saisi soit par la beauté des paysages ou leur laideur. On peut aussi comme je l’ai fait ce matin monter d’un cran et se demander le sens de tout ça.
Non mais c’est vrai. On se dit qu’on a eu le big-bang, l’expansion de l’univers, la création des galaxies, des planètes, l’évolution des espèces et tout ça pour arriver au résultat dérisoire d’une bande d’asphalte avec des engins crachotant entourées d’excroissance verdâtre et d’animaux masticateurs. cette réflexion m’a emmené tellement loin que je me suis perdu dans les agencements de matière (genre : dire qu’on vit dans des parallélépipèdes rectangle d’épaisseur divers dans un monde infini). Je ne fais pas vraiment dans l’originalité à me prendre la tête sur la finalité de l’existence. mais je suis quand même à penser que ça a du merder quelque part tellement je me sens parfois hors du monde.
Après ce petit couplet existentialiste sur le cheminement vers une réalité imposée, j’ai naturellement dévié sur le résultat de celui ci. et franchement ce n’est pas plus reluisant. Pire que les champs sans fin, les zones industrielles sordides ou les lotissements pour lapins, ce qui reste le plus révélateur du raté de l’humanité restera la bande centrale d’autoroute !!!!
La plupart du temps on ne fait pas attention à cet endroit qui s’étire vers le lointain dans les deux sens : C’est un flou gris entrecoupé de ponts, de véhicules en panne et de radars automatiques. mais ralentissez quelque peu (attention quand même) et c’est une toute autre vision qui s’offre à vous. Bien sûr le gris reste prédominant mais une présence verdâtre perce entre les gravillons, mélange de mousse, d’herbes faméliques et malades et de plantes plus originales. Parmi ces plantes originales, on retrouvera toute la panoplie mutante des cultures agricoles de notre pays égrainée par les poids lourds primesautiers : maïs devenu transgénique tout seul grâce à l’excès de CO2, tournesol qui a renoncé à chercher le soleil, blé recouvert de farines polluantes, pseudos choux, tubercules et autres variétés inconnues dont on comprend mal comment elles ont atterri là.
- Rajoutez à ceci un ensemble hétéroclites de pièces détachées de véhicules entre enjoliveurs, reste de pneus éclatés, morceaux de bâches.
- rajoutez y encore les cadavres plus ou moins aplatis de chats, chiens, oiseaux, renards et hérissons (qui vont la joie des corbeaux et des rapaces).
- Finissez en parsemant ici et là des paquets de clopes, des canettes et des bouteilles en plastiques lestées des urines jaunasses des routiers désireux de s’en débarrasser.
Et vous avez là le tableau complet du résultat de plus de 2000 ans de civilisation humaine. car telle est notre histoire : une longue bande continue grise parsemée de cadavres, d’accidents où parfois transperce une semblant de vies épanouies et qui ne mène à rien en fait.
Et c’est bien pour ça que rien n’a de sens, car rien de sensé ne mènerait à un résultat si pitoyable, si peu rationnel, si peu intelligent et si inutile. La vie, l’univers n’est qu’une force aveugle et sans but hoquetant dans le néant se souciant peu du résultat de ses soubresauts.
Bon sinon, c’est pas tout ça mais faut que je vous laisse, ça recommence à rouler là….
Un jour y a un mec qui a dit : “Science sans conscience n’est que ruine de l’ame !” Moi je me demande meme si ce n’est pas juste le fait que l’on est conscience de notre intelligence qui nuit à l’humanité. L’homme est un virus pour lui meme. Et comme tout virus il se propage, prolifère, gangrène, défigure son environnement jusqu’à obtenir la plupart du temps la mort du corps qui l’heberge.
Alors à tout virus son l’antidote, oui mais lequel ? L’espoir ? Une révolution ? L’année 2012 ? Une force superieure de l’haut dela ? Ou tout simplement l’homme lui meme ? ….
Bref ç’est pas tout ça non plus mais il faut que je vous laisse aussi … y a comme une voix qui s’élève du fond du couloir : “A taaaaaaaaaable !”
comme qui dirait, je me place au delà du bien et du mal sur ce coup là .
Peu importe, la civilisation en fait. C’est juste le cheminement qui est intéressant (ou pas). Je ne juge pas le résultat (même si franchement). Juste de se dire que nous sommes tous en quête de sens mais qu’il n’y en n’a pas.
Comme si l’univers était en quête de sens…. Ce qui reste à prouver. Dans quelques milliards d’années, dans la pénombre d’un univers vide et mort, qui sera là pour dire : “tout ça pour ça…”