Terminus

Nos souvenirs sont remplis d’habitude et de chemins maints fois parcourus.

Par exemple, depuis tout petit, en arpentant les rues de Bayonne, mon chemin croisait la devanture d’une boutique bien particulière. Ce fut tout d’abord une étape pour aller chez mes arrières grands-parents près du vieux cinéma Vauban. Plus tard, cette même boutique croisait ma route quand je rejoignais ma voiture décuvant d’une soirée arrosée des fêtes de Bayonne.

Et toujours et encore, cette même impression se perpétue chaque fois que je longe l’avenue Léon Bonnat, comme une nouvelle couche sur un mille feuille de souvenirs.

Ne vous attendez pas à ce que je vous parle d’une boutique d’informatique, de BD ou autres lieux de perdition consuméristes.

Ce magasin encore en activité s’appelle La Maison Couderc et est spécialiste en matériel Orthopédique.

Alignant facilement 10 mètres de vitrine, il me fallait pourtant plus de temps que convenu pour le longer avec mes petites gambettes d’enfant. Dans un cadre suranné et vieillot s’alignait derrières les vitres jaunies par les soleil, ceintures de maintien, cannes, chaussures orthopédiques et autres instruments pour grabataires en puissance. J’étais bien loin de me douter que ces objets puissent représenter le quotidien d’un avenir lointain qui m’attendaient inexorablement. L’univers de la prothèse se résumait en ce temps à celle que portait “l’homme qui valait les 3 milliards”. Autant vous dire que l’idée d’un super héros en bas de contention était loin de me traverser l’esprit.

Mais le pire dans cet étalage paramédical était l’absence total de joie et de gaieté, comme si le soleil avait aussi terni le bric à brac pour le réduire à un ensemble de marron, de gris et de maillots aussi glamour qu’un abat-jour d’un vide-grenier.

Et pourtant, tout cela m’impressionnait terriblement et me terrifiait à moitié comme si on me présentait en avant-première le reflet de ma déchéance. J’en rigolais aussi intérieurement, me désolidarisant de ces reliques d’un autre âge d’un passé lointain et d’un futur qui l’était encore plus. C’est un peu comme se moquer des pubs gériatriques après les chiffres et les lettres, alors que la colle à dentier, on va y passer comme les autres.

L’immuabilité de ce monument à la gloire de la condition humaine est toujours là et ce depuis 1967. Je l’avais imaginé plus vieux, genre fondé par l’arrière grand oncle du propriétaire actuel en 1837. On peut toujours passer devant sans noter de différence fondamentale depuis les années 80.

Il en est ainsi de ces vieilles qui semblent aussi immortelles que les menhirs de Carnac : elles étaient là avant vous, elles seront là encore après vous. Et même si l’activité change, le nom d’origine s’affichera encore, décrépi pour de nombreuses années, incrusté dans la pierre de la bâtisse. Je pense ainsi  à la maison Berrogain, spécialiste en linge de maison, plantée au coeur de Bayonne

Mais même la modernité rattrape l’immuabilité : la maison Couderc a son site Internet, vantant les mérites de ses corsets sur mesure et ses orthèses plantaires.

Mais la sensation demeure, l’éternel retour nous guette à chaque pas.

Mais au final, un jour, je sais que je m’arrêterai devant une boutique de ce genre, réelle ou virtuelle, que je passerai la porte pour devenir un client comme les autres.

 

 

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